Entrevue avec la sénatrice Rosemary Moodie, coprésidente du caucus noir parlementaire
L'ACEP : Le Caucus des parlementaires noirs, créé en 2015, a pour but de « soulever, discuter et défendre des questions qui sont importantes pour la population noire du Canada ».
Quelles ont été les réussites et les réalisations du Caucus des parlementaires noirs depuis sa création et que fait-il pour lutter contre le racisme anti-Noir(e)s en général et dans le secteur public fédéral en particulier?
La sénatrice Rosemary Moodie : Depuis sa création, le Caucus des parlementaires noirs s’efforce d’être le porte-voix des personnes noires au Canada et de leurs priorités. Il a influencé l’orientation d’un certain nombre de dossiers comme la représentation de Viola Desmond sur le billet de 10 dollars.
Le décès de George Floyd a considérablement intensifié les activités du caucus. Nous avons publié une déclaration qui reprenait de nombreuses idées de longue date défendues par les communautés noires et les mettait à l’avant-plan en cette période où la société traversait une crise. Les membres ont également exercé des pressions pour la tenue de débats d’urgence et pour que le gouvernement réagisse aux problèmes de racisme systémique qui existent toujours et à leur incidence sur les personnes noires au Canada.
Après l’été 2020, bon nombre de programmes et d’initiatives, comme l’initiative Appuyer les communautés noires du Canada, le Fonds de dotation philanthropique dirigé par les Noirs, le Secrétariat fédéral de lutte contre le racisme et le Programme pour l’entrepreneuriat des communautés noires, ont été mis en place. Il s’agit de l’aboutissement des efforts et du travail de plaidoyer de nombreuses personnes, dont le Caucus des parlementaires noirs.
Pour ce qui est des activités tenues récemment, le Caucus des parlementaires noirs a tout juste terminé ses consultations prébudgétaires. Ces consultations sont une occasion importante que les personnes noires au Canada peuvent saisir pour faire part de leurs besoins et de leurs priorités au moment où le gouvernement prendra des décisions importantes sur l’orientation budgétaire du Canada au cours des prochains mois. Nous avons reçu des mémoires de plus de 60 groupes de tout le Canada, lesquels reflètent la grande diversité des communautés noires. Nous consacrons maintenant nos efforts à transmettre ce que nous avons entendu à la ministre des Finances. Nous avons également publié une déclaration en réponse à la soi-disant manifestation du convoi de la liberté au début de 2022.
L'ACEP : L’existence du racisme anti-Noir(e)s dans le secteur public fédéral a été démontrée. Selon le Sondage auprès des fonctionnaires fédéraux de 2019, « plus de 15 % des employés noirs de la fonction publique ont été victimes de discrimination raciale en milieu de travail ».
À votre avis, de quelle façon faut-il s’y prendre pour lutter contre le racisme anti-Noir(e)s au travail dans le secteur public fédéral?
La sénatrice Rosemary Moodie : Malgré le soutien du public aux mesures pour lutter contre le racisme anti-Noir(e)s, le manque de diversité aux échelons supérieurs de la fonction publique constitue un des principaux obstacles à la création et à la mise en œuvre de ces mesures. Or, il n’est pas impossible de surmonter ce défi. Le Caucus des parlementaires noirs a formulé un certain nombre de recommandations par le passé pour lutter contre le racisme dans le secteur public.
Outre la question de la représentation des personnes noires aux échelons supérieurs et dans le recrutement en général, il a notamment été recommandé de :
- renforcer le droit du travail et de veiller à ce que le recrutement au sein de la fonction publique fédérale et dans les secteurs réglementés par le fédéral soit diversifié et équitable;
- mettre en œuvre des programmes efficaces de formation et d’évaluation contre les préjugés dans l’ensemble de la fonction publique;
- veiller à ce que les emplois et la formation des groupes sous-représentés soient au cœur des plans d’infrastructure fédéraux.
- Beaucoup d’idées intéressantes circulent, comme celle de créer un poste de commissaire à la lutte contre le racisme. Au bout du compte, ce sont les fonctionnaires noir(e)s qui sont les mieux placé(e)s pour répondre à cette question; leurs avis et leurs réflexions devraient être priorisés et pris en compte de manière significative.
La fonction publique a déjà réussi à relever des défis semblables par le passé, notamment en ce qui concerne la place des femmes et des francophones dans la fonction publique.
L'ACEP : Selon la lettre de mandat de la présidente du Conseil du Trésor, publiée le 6 décembre 2021, cette dernière doit notamment s’acquitter de l’engagement d’établir « un fonds pour la santé mentale destiné aux fonctionnaires noirs, et appuyer les possibilités d’avancement professionnel, de formation, de parrainage et d’éducation des Noirs ».
Pourquoi ces mesures sont-elles importantes et de quelle façon peuvent-elles être mises en œuvre efficacement?
La sénatrice Rosemary Moodie : Au travail, il est essentiel de soutenir la santé mentale du personnel. L’incidence du racisme et de la discrimination systémiques sur la santé mentale pose des difficultés particulières sur le plan de la santé mentale. Des résultats plus immédiats pourraient être obtenus grâce à un fonds dédié à la santé mentale, qui est nécessaire pour remédier à l’incidence de ce phénomène. La formation, le parrainage, les possibilités d’éducation et le soutien à l’avancement professionnel sont également essentiels et contribueront à combler les lacunes en matière d’équité dans la fonction publique.
En soutenant la santé mentale des fonctionnaires noir(e)s et en veillant à ce que les personnes noires au Canada et les autres groupes sous-représentés soient bien placés pour tirer parti des possibilités offertes par la fonction publique, cette dernière sera non seulement plus inclusive et équitable, mais elle deviendra plus forte dans l’ensemble.
L'ACEP : Un des trois objectifs de la mise en œuvre de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine des Nations Unies est d’« adopter et renforcer les cadres juridiques internationaux, régionaux et nationaux […] et de veiller à les mettre en œuvre intégralement et effectivement ».
Que pensez-vous des mesures prises jusqu’à présent par le Canada dans le cadre de la proclamation de la Décennie internationale (2015-2024) au profit des personnes d’ascendance africaine au Canada, en particulier celles qui travaillent dans la fonction publique fédérale?
La sénatrice Rosemary Moodie : Depuis la reconnaissance officielle de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, le gouvernement fédéral a mis en œuvre ou entrepris diverses initiatives pour soutenir les communautés noires au Canada.
Dans le cadre de ces initiatives, le gouvernement s’engage notamment à verser :
- 9 millions de dollars sur trois ans à Patrimoine canadien pour améliorer les mesures de soutien communautaires locales pour les jeunes des communautés noires du Canada.
- 10 millions de dollars sur cinq ans à l’Agence de la santé publique du Canada pour améliorer la recherche à l’appui de programmes de santé mentale davantage axés sur la culture dans les communautés noires du Canada.
- 25 millions de dollars sur cinq ans à Emploi et Développement social Canada pour des projets visant à célébrer et à transmettre le savoir des communautés noires du Canada.
Ces engagements sont un bon point de départ. Cependant, comme la Décennie pour les personnes d’ascendance africaine tire à sa fin, le gouvernement doit veiller à ce que cet élan se poursuive. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour résoudre les problèmes qui touchent les personnes d’ascendance africaine au Canada.
Le financement devrait être permanent et faire l’objet d’un examen pour s’assurer de répondre aux besoins des communautés. J’entends trop souvent dire que les communautés noires n’ont pas accès à de nombreux programmes de subventions et de contributions en raison de critères d’admissibilité exigeants. Voilà un exemple du type de questions sur lequel il faut se pencher.