Article d'opinion du Hill Times : Quand le gouvernement fait passer la perception avant la productivité, tout le monde y perd

Ce texte a été publié en anglais dans le Hill Times le 7 octobre 2024. En voici la traduction.

Depuis qu’il a annoncé, ce printemps, que les employées et les employés du secteur public seraient obligés de travailler trois jours par semaine au bureau, le gouvernement refuse de justifier sa décision et traite son personnel et la population canadienne avec condescendance en évoquant vaguement la collaboration et le développement de carrière. On sait maintenant pourquoi : il veut marquer des points faciles sur l’échiquier politique.

Sa décision n’a rien à voir avec l’amélioration de la productivité et de la culture organisationnelle. Au contraire. De nouvelles informations révélées par l’Alliance de la Fonction publique du Canada indiquent clairement que même si le gouvernement sait que l’accès facilité au télétravail améliore la productivité de son personnel de 4,5 %, il a décidé d’imposer la présence obligatoire au bureau en se basant uniquement sur des hypothèses erronées concernant la « perception du public ». 

L’obligation de travailler trois jours par semaine au bureau est un autre échec politique lamentable, qui met encore plus en évidence la faiblesse et l’incompétence de la direction. En réalité, avoir la latitude de travailler à domicile rend les travailleuses et les travailleurs plus productifs. Mais le gouvernement a préféré se défiler pour calmer des critiques tout à fait imaginaires selon lesquelles la productivité passe par le travail au bureau. Vu l’absence flagrante d’une raison expliquant la directive mise en place, beaucoup de travailleuses et de travailleurs se demandent quels intérêts ce gouvernement sert réellement. Les intérêts douteux de propriétaires de commerces? Ceux de promoteurs de théories de la gestion archaïques? Les employé·es du gouvernement fédéral et les contribuables veulent des explications. Et vite. 

Il incombe au gouvernement de dire la vérité au public : la souplesse accrue en matière de télétravail accordée aux employé·es du secteur public au début de la pandémie a en fait stimulé leur productivité et leur a permis de fournir au public des programmes et des services essentiels à une vitesse record. En répandant délibérément des faussetés sur le télétravail, le gouvernement rend un mauvais service non seulement à son personnel, mais aussi à la population active canadienne qui pourrait bénéficier d’un meilleur accès au télétravail, ainsi qu’aux contribuables qui doivent payer à fort prix l’entretien des bureaux fédéraux et la mise en place de technologies dystopiques de contrôle de l’assiduité au travail.

Les moyens de surveillance orwelliens utilisés pour contrôler l’assiduité détournent les ressources du travail à faire et créent une culture organisationnelle qui fera fuir les bonnes employées et les bons employés. Développer des systèmes de contrôle complexes, consigner où se trouvent les gens et faire contrôler leur présence par les gestionnaires, c’est une perte de temps et un gaspillage de deniers publics. Il a été démontré que la surveillance arbitraire rend le personnel plus méfiant, moins motivé — et moins performant. Alors, le gouvernement, qui prétend ordonner à son personnel de retourner travailler dans ses bureaux pour instaurer une culture organisationnelle, fait plutôt tout en son pouvoir pour garantir la toxicité inhérente de cette culture. 

D’autres employeurs ont déjà compris que le télétravail sera la nouvelle norme. Les gouvernements de la Colombie-Britannique, de l’Australie et du Royaume-Uni mettent tous résolument en œuvre le télétravail. Si le Canada ne fait pas marche arrière sans tarder, notre gouvernement deviendra un dinosaure peu attrayant, incapable de recruter ou de retenir des talents de premier plan ou d’assurer des services de qualité à la population. 

Si les craintes suscitées par cette décision sont fondées – elle aggrave intentionnellement la toxicité du lieu de travail pour faire grimper le nombre de démissions avant l’adoption de mesures plus draconiennes –, le public devrait connaître la vérité : sabrer dans le secteur public, ça ne peut que faire grimper les coûts en sous-traitance dispendieuse. Nous n’avons pas besoin d’autres catastrophes comme ArriveCan. Nous avons besoin d’un secteur public qui fonctionne bien et qui se distingue par ses emplois de qualité et ses pratiques rigoureuses en matière de reddition des comptes. Et cela n’implique pas que les gestionnaires doivent tournoyer autour des bureaux avec des feuilles de présence. 

Comme le gouvernement est bien connu pour sa capacité à saper le moral de son personnel, le voir gaspiller des fonds en obligeant le personnel, sans aucune raison, à retourner travailler dans des bureaux en voie accélérée de décrépitude ne surprendra personne. Cela fait des années qu’une crise se prépare dans les lieux de travail fédéraux. Le système de paye Phénix est un échec retentissant, et huit ans plus tard, le gouvernement continue de tergiverser pour trouver une solution tandis que ses employé·es ont toujours du mal à recevoir leur paye au bon montant. Le fiasco de la Canada Vie a mis beaucoup d’employé·es dans une situation financière périlleuse et a eu des répercussions réelles sur leur santé mentale et physique. 

Le plus grand employeur du pays s’est mis à dos la grande majorité de ses travailleuses et travailleurs, qui développent lentement mais sûrement leur capacité à se défendre. La présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand, aurait la possibilité d’annuler les journées obligatoires au bureau en un tournemain tout en améliorant ses relations avec les employé·es fédéraux et en économisant immédiatement l’argent des contribuables. 

Le cynisme flagrant qui sous-tend cette directive – qui accorde plus d’importance à la perception qu’à la productivité ou à l’utilisation responsable de l’argent des contribuables – devrait préoccuper tout le monde. Car lorsqu’il est plus important pour le gouvernement de sauver les apparences que de répondre aux besoins du pays, tout le monde y perd.

Les employé·es du secteur public fédéral veulent servir la population canadienne, mais leur employeur fait tout pour les détourner de cette fonction essentielle et sacrée. 

 

Nathan Prier
Président, Association canadienne des employés professionnels