Article d'opinion du Hill Times: Le gouvernement prétend que la présence au bureau est nécessaire pour stimuler la collaboration. Respectueusement, mais à quoi pense-t-il?

Ce texte a été publié en anglais dans le Hill Times le 2 septembre 2024. En voici la traduction.

La semaine prochaine, des milliers d’employées et d’employés du secteur public fédéral seront obligés de s’entasser trois jours par semaine dans des bureaux mal équipés et bricolés, pour continuer de passer des appels vidéo, tout comme à la maison. Pourquoi cette obligation? Personne ne le sait vraiment.

Faisant fi du chaos à venir, Christiane Fox, sous-greffière du Conseil privé, déclarait cette semaine sur CBC qu’on force les employées et les employés fédéraux à retourner travailler au bureau « pour créer un esprit d’équipe et de collaboration et ainsi relever les défis difficiles de la politique publique ». 

Pour une raison ou pour une autre, le gouvernement continue de justifier sa décision sur le retour au travail en parlant de stimulation de la collaboration sans tenir compte des conséquences désastreuses anticipées sur la productivité et le rendement du personnel ou sur les services à la population canadienne. En fait, on s’attend à ce qu’elle fasse perdre des heures de travail, car les gens ont du mal à réserver un bureau ou à trouver un poste de travail libre, et qu’elle oblige les gestionnaires à passer un temps fou à contrôler la présence de leur équipe au bureau et à en faire rapport. 

On a du mal à voir quel problème le gouvernement tente de régler de cette façon. Les travailleuses et les travailleurs du gouvernement travaillent efficacement depuis que la pandémie les a obligés à passer immédiatement au travail en ligne — une transformation inévitable qui était déjà en cours. Grâce à la technologie et aux outils disponibles de nos jours, la collaboration n’a jamais été aussi facile. Les syndicats fédéraux ont demandé à plusieurs reprises à la haute direction du secteur public fédéral de fournir une seule étude de productivité à l’appui de ses affirmations. Madame Fox, nous attendons toujours que vous et vos collègues nous expliquiez pourquoi les contribuables devraient payer des frais de bureau entièrement facultatifs.

La situation se présente mal avant l’entrée en vigueur, le 9 septembre, du retour obligatoire au bureau. Dans la plupart des bureaux, il n’y a pas suffisamment d’espace de travail et de réunion pour que les équipes puissent s’asseoir ensemble et « collaborer ». En fait, certain·es employé·es n’ont pas d’espace de bureau du tout et n’ont d’autre choix que de travailler sur des comptoirs de cuisine ou des tables de cafétéria. 

Les fonctionnaires d’Infrastructure Canada et de Statistique Canada ont obtenu des exemptions de retour au bureau trois jours par semaine, car dans ces bureaux, il n’y a tout simplement pas assez d’espace. De nombreux immeubles de bureaux fédéraux sont d’ores et déjà destinés à être transformés en logements. Comme il se doit. Obliger plus de gens à travailler plus souvent dans un espace réduit tout en ignorant l’énorme potentiel de ces immeubles montre que nos élites de la gestion ont besoin d’un conseil politique simple que les membres de l’ACEP seraient ravi·es de leur donner. 

La majeure partie de notre travail restera virtuelle, quels que soient les efforts déployés par le gouvernement pour enfermer son personnel dans des bureaux infestés de punaises, au nom d’un concept totalement vide comme la « collaboration ». Ce ne sont pas tous les emplois qui requièrent la contribution constante de collègues travaillant à courte distance les un·es des autres. En réalité, beaucoup de nos membres travaillant dans des villes et des bureaux différents ont noué des relations intéressantes et productives grâce au passage au bureau virtuel, ce qui permet au gouvernement de puiser dans un bassin de talents beaucoup plus vaste. Cela s’appelle le gouvernement « canadien ». Ça veut dire d’un océan à l’autre. 

Madame Fox a également déclaré que les fonctionnaires « comprennent le rôle d’une fonction publique et [sont] en situation d’apprendre par l’observation de ce qu’elles et ils voient se produire au lieu de travail ».

Cette affirmation est incroyablement naïve et farfelue, compte tenu de la quantité de travail que les employées et les employés fédéraux abattent tous les jours, heure par heure, et du peu de temps qu’il leur reste pour porter attention à ce que font les autres. Garder les yeux rivés sur ses collègues « pour apprendre » est un luxe que personne ne peut s’offrir, sans mentionner que c’est malaisant. De plus, soyons honnêtes, les gens apprennent mieux par l’accompagnement professionnel, les cours de formation et la pratique. Comme la nature du travail s’est adaptée, la formation doit elle aussi s’adapter. Les recrues n’ont-elles pas été accueillies, intégrées et encadrées avec succès tout au long de la pandémie? Quel problème le gouvernement essaie-t-il de régler exactement, si ce n’est celui de la marge de profit de quelques propriétaires de locaux commerciaux de la région de la capitale nationale? Le milieu des affaires d’Ottawa appuie l’adoption d’une culture de bureau basée sur le télétravail tandis que Christiane a du mal à faire valoir son point de vue. 

Un autre argument de poids avancé par Madame Fox est la « perception du public ». En fin de compte, c’est au gouvernement qu’il incombe de changer la perception qu’a le public de l’avenir du travail, plutôt que de renforcer cette perception et de faire porter le chapeau à son propre personnel. Et que dit-on de la productivité en hausse? Des millions de dollars économisés en abandonnant des immeubles de bureaux coûteux et désuets? De la réduction de la pollution émise par les voitures? De l’utilisation de nouveaux immeubles pour en faire des logements abordables et des garderies dont on a désespérément besoin? Pas un mot.

Le gouvernement se tire dans le pied tout en se mettant l’autre pied dans la bouche. Ce n’est pas joli joli. Le télétravail est l’avenir du travail et il est là pour de bon. C’est un phénomène mondial qui va transformer nos vies et nos sociétés pour le mieux. Il est trop tard pour tenter de revenir en arrière; une nouvelle génération de travailleuses et de travailleurs canadiens talentueux fera du télétravail un critère essentiel dans sa recherche d’emploi. À un moment donné, le gouvernement devra revenir sur sa position s’il veut attirer des recrues et garder son personnel. La population canadienne ne veut pas que ce gouvernement gaspille des fortunes pour des théories de gestion frivoles et désuètes que l’écrasante majorité des travailleuses et des travailleurs fédéraux ont rejetées à maintes reprises. 

Enfin, il faut souligner l’ironie : cette nouvelle politique de retour au bureau a été élaborée par de haut·es fonctionnaires qui travaillent dans le confort de leur foyer.

Alors, Christiane Fox, de quoi parlez-vous vraiment?

 

Nathan Prier
Président
Association canadienne des employés professionnels